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Tamaroa — Destin(s) #2 : Le grand oral
Published: 2014-08-29 18:37:19 +0000 UTC; Views: 444; Favourites: 0; Downloads: 0
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Description 23 Octobre 2038 – Palais de l’Élysée

Diane était allongée sur le lit de son compagnon. Elle avait pris ses habitudes dans les appartements présidentiels. Dès que leur emploi du temps le permettait, elle se rendait devant la porte marron côté Marigny où Carl l’attendait pour l’emmener voir David. Le garde du corps avait appris à ses dépens que Diane n’était pas une femme faible, loin de là. Si bien qu’il n’osait même plus entamer la conversation avec elle, de peur de la froisser. Simplement « Bonjour », « bonsoir », et les mêmes formules de politesses qu’il utilisait avec le président. Il semblait avoir assimilé avant même que cela ne s’officialise qu’il devrait désormais la considérer comme sa patronne.
Les yeux rivés aux plafonds, elle pensait à cette officialisation. Le bruit de leur relation s’était déjà répandu, et ses confrères journalistes s’étaient hâtés de fouiner dans sa vie pour mieux la révéler au grand public. Tout était allé très vite, trop vite. David avait été forcé d’évoquer le sujet plus tôt que prévu lors d’une interview télévisée. Les journalistes, comme le peuple, étaient curieux. Ils avaient fini par connaître les origines de Diane, et une polémique en avait découlé, entre ceux qui demandaient des explications précises, et ceux qui prétendaient respecter sa vie privée. Il n’y avait pas de quoi déclencher une guerre civile, mais on n’avait encore jamais vu une épouse de président adoptée, et en France, on n’appréciait pas la nouveauté.
David sortit de la salle de bain, et vint la rejoindre sous les draps. Il connaissait parfaitement sa compagne. Il sut en la voyant fixer les poutres du plafond qu’elle était inquiète. Il s’allongea près d’elle, la prit dans ses bras, et lui murmura : « Ma chérie…il ne faut pas que tu dramatises. Tout ira très bien, demain. Karine t’a donné des tas de conseils, si tu les suis, il n’y a aucune raison que cela dérape. C’est son métier, me conseiller pour mes apparitions en public, c’est bien normal qu’elle t’ait briefée, tu es liée à moi. »
Elle ne répondit pas. Cette Karine, conseillère en communication de David, Diane ne pouvait pas la supporter. Jalousie féminine ? Métiers incompatibles ? Peut-être. Mais quand elle lui avait rendu visite chez elle pour la préparer à son oral du lendemain, ses poils s’étaient hérissés. Cette interview était d’une importance majeure pour la suite : c’était la première fois que Diane s’exprimait publiquement. La première impression serait donc déterminante, d’autant plus que son passage simultané sur BFF TV et Iradio lui permettrait d’annoncer une bonne fois pour toute la date de son mariage.
Les conseils de Karine devaient donc l’aider à gérer au mieux son premier passage devant les caméras et à éviter les sujets sensibles que pourrait aborder le chroniqueur, célèbre pour sa verve tranchante. Diane acceptait très bien qu’on lui demande de se montrer le plus honnête possible ou de regarder son interlocuteur dans les yeux. Elle avait déjà réalisé un stage dans une télévision, et connaissait certains gestes techniques qu’elle appliquerait du mieux qu’elle pourrait. Cependant, l’entretien s’était un peu trop éternisé à son goût, et elle avait commencé à saturer des consignes que lui donnait Karine. Diane appréciait certes la compagnie des gens, mais tenait toujours à travailler seule. Personne ne devait prendre les initiatives à sa place : ses actions, elle les décidait et les assumait jusqu’au bout. C’est ce côté cavalière solitaire qui faisait son charme, et qui la rendait si brillante dans son métier, à l’image de cette ex-première dame, qui avait tant fait parler d’elle...Valérie Trierweiler.
Karine était parfaitement consciente du caractère imprévisible de Diane, et voulait justement éviter de réitérer l’affaire qui avait tourné autour de son homologue dans les années 2010. Elle était donc passée de simples conseils à des ordres stricts, que Diane refusait d’avaler. Celle-ci avait éclaté lorsque Karine l’avait sommée de ne pas évoquer sa stérilité. En hurlant qu’elle seule était maîtresse de sa vie médiatique, et qu’elle refusait de cacher la vérité aux français, elle l’avait poussée vers la sortie, lui avait jeté ses notes à la figure, et avait fermé la porte à clé.
David, complètement désemparé, se devait désormais de réparer les dégâts, et de rassurer sa compagne, qui n’avait jamais goûté aux bains d’objectifs et de micros.
« Écoute, je suis sûr que tout se passera bien. Je ne peux pas te forcer à suivre les conseils qu’on t’a donnés, et je sais que tu ne vas en faire qu’à ta tête. Mais j’ai confiance en toi. De toute façon, que tu leur plaises ou non, la date du mariage est fixée !
- Je ne veux pas leur mentir.
- Alors ne leur mens pas. Sois toi-même, et ne te laisse pas abattre par le chroniqueur. C’est un fourbe.
- Oui…je l’ai déjà croisé…
- Tu m’appelleras après avoir fini, je serai avec le premier ministre. Bonne nuit…ma première dame ! »
Il l’embrassa et se tourna. Diane, de son côté, éteignit la lumière, ne put plus voir les poutres au-dessus d’elle, et dut se forcer à s’endormir.

Cette nuit-là, elle revécut le meurtre de ses parents, sur la place publique du village où elle était née. Elle sentit le sang lui gicler au visage et se mêler à ses larmes de petite fille. Elle entendit les habitants crier son nom et lever les armes pour lui annoncer qu’elle subirait le même destin tragique. Elle ressentit la terreur, et fuit, une fois de plus.
Même si elle s’en était sortie vivante, cette vision la hantait sous forme de cauchemar à chaque fois qu’un moment décisif de sa vie se profilait.
Et à chaque fois, elle dormait mal.


24 Octobre 2038 – Station de télévision BFF TV, Paris 15e

« Dites donc, vous en avez des cernes, Mme. Bernard ! Ne vous en faites pas, on va cacher tout ça… »
La maquilleuse saisit une boîte de fond de teint et un pinceau. Tout en appliquant le produit sur les pommettes de Diane, elle continua : « Je comprends en même temps que vous soyez si fatiguée, avec une vie de couple pareille, plus votre travail, on peut dire que vous avez la vie dure !
- Que voulez-vous, on ne choisit pas son âme sœur… »
Diane essayait de se détendre, mais elle n’y parvenait pas. Le matin même, elle s’était encore disputée avec Karine, qui lui avait demandé de mettre une robe, sous prétexte que c’était « plus féminin ». Elle s’était retrouvée avec le bout de tissu froissé sur le visage, puis avait dû accepter le fait que Diane ne jurait que par les pantalons, et que personne ne changerait son image.
L’interview débutait à neuf heures. Il était huit heures trente, et la régie était en effervescence. Elle avait trouvé un peu de répit dans la salle de maquillage, où elle s’attendait à croiser l’homme qui l’interrogerait en direct, mais elle ne vit personne. Elle qui voulait entamer un brin de conversation avec lui pour l’adoucir, c’était raté. Elle se contenta de la compagnie de la maquilleuse, qui se montra à la fois douce et à l’écoute. Des gens stressés, elle avait dû en voir passer des dizaines dans sa carrière.

On vint la chercher à huit heures cinquante-cinq pour se rendre en plateau. Elle eut à peine le temps de saluer le chroniqueur et de relire ses notes. Elle savait à peu près à quel type de questions s’attendre, car Karine avait discuté avec lui, mais elle savait également qu’il prenait très souvent la liberté de demander des choses inattendues. Dans le cas où cela arrivait, ses notes ne lui serviraient à rien.
L’horloge numérique afficha neuf heures. On annonça à l’oreillette le début du jingle, Diane inspira un grand coup et le présentateur prit un air assuré devant la caméra : « Bonjour à toutes et à tous, je suis Jean-Claude Barbier, il est neuf heures.
- Mamie, ça commence !
- Oui j’arrive mon petit Kevin, j’arrive. »
A des centaines de kilomètres de là, la famille Dupont était rassemblée devant la télévision pour voir cette fameuse Diane Bernard s’exprimer. Les médias n’avaient pas manqué de « teaser » cette interview, abusant des mots « exclusive » et « exceptionnelle ». Ils n’avaient dans un sens pas totalement tort, et c’était pour cette raison que même Kévin avait accepté de se lever tôt en ce samedi matin. Du haut de ses treize ans, il n’était pas un mordu de politique, et sa crise d’adolescence ne le rendait pas très curieux, mais ses amis lui avaient simplement raconté que « la meuf du président elle était grave bonne », et il avait tenu à voir cela de ses propres yeux.
Quand le présentateur annonça son nom, et qu’elle se retrouva à l’écran, il fut légèrement déçu par le manque de volume à la poitrine, mais quelque chose d’étrange dans son regard l’absorba. C’était à la fois dû à la couleur bleu lagon très prononcée de ses yeux, mais aussi et surtout à autre chose de beaucoup moins concret. Pour la première fois de sa vie, Kevin était confronté à une beauté plus profonde et inexplicable que celle qu’il cherchait chez ses petites camarades. Il n’était pas le seul à avoir été impressionné par ce visage. Liliane, sa grand-mère, ne put se retenir de commenter : « Hé bien, elle est jolie cette petite.
- Shhht, j’entends pas ce qu’il dit, Julie, monte le son ! »
Thierry avait presque le même âge que Diane, et tenait à l’entendre s’exprimer, notamment sur la polémique qui concernait son passé. Il faisait partie de ceux qui demandaient à ce qu’elle montre patte blanche pour être acceptée. Sa femme, Julie, pensait au contraire qu’elle avait le droit de conserver sa vie privée si elle ne souhaitait pas la partager. Elle s’exécuta, et augmenta le volume, pour laisser Jean-Claude Barbier poser sa première question : « Depuis combien de temps entretenez-vous votre relation avec le président ? »
D’une voix très calme, elle répondit : « Depuis environ trois mois. Nous nous connaissons depuis notre adolescence, ce qui fait que nous n’avons pas eu besoin de plus de temps pour officialiser notre relation.
- Justement, cette officialisation, elle a été plutôt officieuse. On s’attendait à quelque chose de plus solennel, mais on n’a eu droit qu’à une évocation rapide pendant un bain de foule...
- David et moi considérons qu’il est inutile d’organiser des grands discours pour ce genre de nouvelles, qui relèvent plutôt de l’info people que de politique pure.
- Enfin, de là à ne pas en informer officiellement les médias !
- Vous savez Mr. Barbier, je suis moi-même journaliste, et une info, peu importe la manière dont on nous la donne, ça reste une info. Notre métier consiste à la relayer, pas à critiquer celui qui nous l’a donnée.
- Mme. Bernard…
- Vous vouliez une apparition un peu plus protocolaire ? C’est pour cette raison que je suis ici. »
Il y eut un court silence. En régie, Karine semblait fière : Diane venait de gagner un peu de terrain sur son interlocuteur. À Grenoble, Julie Dupont s’exclama : « Wow ! Elle se défend bien ! Elle vient de lui fermer le caquet !
- Ah oui, elle a du charisme, ça c’est bien, renchérit Liliane
- Il faut qu’il l’amène sur son enfance. Je veux voir comment elle va réagir, marmonna Thierry »
Jean-Claude Barbier, comme pour ériger une défense, s’appuya sur la table. En bon journaliste orgueilleux et expérimenté, il n’appréciait pas qu’on lui coupe la parole. Sa voix devint accusatrice : « Non pas que je souhaitais que vous respectiez le protocole, moi je n’ai pas grand-chose à en dire, ce sont plutôt les français qui aimeraient savoir qui vous êtes réellement.
- HA ! Il est fort ce mec ! Il est très fort ! applaudit Thierry »
Cette question n’était pas prévue. Karine blêmit, Diane déglutit discrètement. L’heure était venue d’improviser.
«  Je comprends que les français exigent de leurs représentants qu’ils soient les plus transparents possible. Les heures sombres de la cinquième république sont encore proches et nous rappellent que la clarté est une chose indispensable de nos jours. J’ai grandi à la DDASS, avant d’être adoptée par les Bernard, auxquels je dois toute mon éducation…
- Pourquoi étiez-vous à la DDASS ?
- Parce que mes parents biologiques sont décédés inexplicablement peu après ma naissance. C’est quelque chose qui pourrait arriver à n’importe quel enfant de ce monde.
- Vous êtes consciente que ce « inexplicablement » fait douter bon nombre de nos auditeurs ?
- Ils ont tout à fait raison de ne pas se fier aux dires d’une femme qui côtoie des politiques. Mais à ceux-là, je répondrais que parfois, il y a des choses que l’on doit savoir oublier pour avancer.
- Quitte à vous faire détester par un certain nombre d’électeurs ? Et même certains politiques ?
- On ne peut pas plaire à tout le monde.
- Cela pourrait vous porter préjudice, ainsi qu’à votre compagnon…et cela a déjà failli le faire avec cette affaire de tweets du président du SPF.
- Jean-Marc Hélias exprime l’avis d’une part des français. Il ne le fait peut-être pas de la manière la plus diplomate qui soit, mais Twitter est un réseau social libre. Chacun gère cette liberté à sa guise. »
Karine se rassura. Diane avait clos le sujet tout en lâchant derrière elle une petite bombe qui empêcherait les gens de l’oublier. Exactement ce qu’elle voulait faire.
« À ce que je comprends, vous ne vous souciez pas de ce que l’on dit sur vous.
- Je n’ai rien promis aux français, je n’ai aucune incidence sur l’avenir de notre pays.
- Vous êtes tout de même liée au président !
- Pas encore. »
Cette réponse jeta un froid sur le plateau et dans l’appartement des Dupont. Karine avait envie d’applaudir la manière dont Diane avait amené le motif principal de sa présence.
« Et quand le serez-vous ?
- Dans moins d'une semaine. Après une cérémonie privée, et ma démission à « La France ».
- QUOI ?! Il va l’épouser ?! J’y crois pas, il va ruiner sa popularité ! s’insurgea Thierry
- C’est quand même normal, non ? Il faut bien qu’elle devienne première dame officiellement ! répliqua Julie. Et puis s’ils s’aiment, au bout d’un moment, c’est leur vie ! »
Il restait cinq minutes avant la fin de l’émission. Jean-Claude Barbier, un peu désorienté par la nouvelle, tenta le tout pour le tout : « Puisque l’on est dans les confessions, souhaitez-vous avoir un enfant durant le mandat ?
- Oui… »
Karine comprit ce qui allait se passer. Elle pria pour que cela ne tourne pas mal.
      « …mais cela ne sera pas le mien.
- C’est-à-dire ?
- Que nous aurons recours à l’adoption, comme l’ont fait mes parents, pour pallier à mon infécondité. »
À l’oreillette, on indiqua qu’il était temps de rendre l’antenne. Pour la première fois, Jean-Claude Barbier n’avait pas pu poser toutes ses questions. Il en fit part à la future première dame en off, en lui souhaitant amicalement tout le bonheur possible dans leur union. C’était un homme redoutable uniquement devant des caméras. Le reste du temps, il était plutôt sympathique.

Chez les Dupont, Thierry n’en revenait pas, sa femme tenta de le calmer : « Roh, c’est pas ton problème si ils peuvent pas avoir d’enfant, tout de même !
- L’important c’est qu’ils s’aiment, philosopha la grand-mère
- Non, mais, attendez, cette femme ne sert à rien sauf à tirer Chabrant vers le bas ! C’est n’importe quoi ! Amie d’enfance, je suis sûr que c’est pas vrai !
- Non c’est l’amour !
- Pff, vous me saoulez là, on s’en fout qu’elle aura pas de gosse, sérieux, j’me casse »
Kevin avait clos le débat.

En quittant les lieux, Karine avertit Diane : « Tu en as fait à ta tête, maintenant ne compte plus sur moi pour rattraper la mayonnaise.
- Très bien, alors appelle ma rédac chef et dis-lui que j’arrive. J’ai un dernier document à lui remettre. »
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Comments: 3

Zoh1 [2014-09-03 11:53:48 +0000 UTC]

"Oui j’arrive mon petit Kevin, j’arrive." Pourquoi je l'ai dit avec la voix de Bob? Pourquoi à la fin j'ai dit "Ololol" xD
Sinon chapitre super, la fin est ultra prenante je l'ai dévoré alors que j'ai eu un peu plus de mal a démarrer!

Vivement la suite  

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daisy-branighan [2014-08-30 12:16:30 +0000 UTC]

J'aime beaucoup ce chapitre. Facile à lire, important et surtout intriguant. Bref, j'ai hâte de lire la suite ! Bonne rentrée !

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Tamaroa In reply to daisy-branighan [2014-08-30 12:38:30 +0000 UTC]

Merciii

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